Le matin réclame à l’orient qu’il tire de l’horizon le drap de l’aube par dessus les cendres de la nuit. Le vent océanique, surgissant des crêtes du Mount Taylor, barre l’aurore de lumineuses perspectives en filant les pelotes dorées de la toison céleste. Sous ce ballet de clarté bleue et or, la cité, posée sur son socle de ténèbre, dresse avec défi sa cacophonie anguleuse de béton et d’acier face à l’astre naissant. Dans leurs alcôves viciées d’insomnies, des hordes de cœurs fatigués quittent leurs couches de sables-mouvants où gisent, sous les corps objets de leurs avidités, les rêves abandonnés de leur enfance évanouie. À peine réveillé, ce peuple d’yeux hagards, maquillés d’un halo bleu, se gave d’images numériques distillées par d’omniprésents écrans. Suspendus à leurs pulsions, toutes consciences éteintes, les fourmis laborieuses se jettent à la poursuite frénétique d’une accumulation insatiable, chaussées des œillères du renoncement à elles-mêmes et alimentent naïvement la mécanique infernale destinées à les broyer. Le silence nocturne déserte la ville par de faibles rumeurs dévalant les ruisseaux ruelles qui se rejoignent et s’amplifient en bruits le long des torrents rues qui se renforcent jusqu’aux grondements des fleuves avenues. Combien reste-t-il de cœurs vaillants dans le béton captif ? Combien d’esprits lumineux scintillent toujours dans l’ombre ? Combien d’âmes libres n’ont pas encore été emportées ? Nul ne le sait. Une poignée peut-être. Une poignée qui s’ignore, isolée, marginalisée. Quelques graines dans la paume du destin. Si peu soient-elles, elles font toujours l’objet d’une attention obstinée.
- Monsieur le Vice-Président, réveillez-vous ! (...))